Le politique et l'automate

A Noël tout redevient radieux et innocent...

Particulièrement ce joyeux succès populaire des vitrines des Galeries Lafayette à Paris (comme ailleurs). Mais, derrière la magie des cadeaux et des dépenses somptuaires, l'ombre tyrannique de la vie politique ne dissimule-t-elle pas, jusque là, sa méchanceté quotidienne ? En dehors des mystères de Jésus-Marie-Joseph, il n'y a certes a priori rien de commun entre la scène politique et la scène commerciale de ces vitrines de Noël enchantées qui, bien au contraire depuis la naissance de la Troisième République, ouvre à cette saison la fameuse « trêve des confiseurs ». Après les verres d'acide et les cuillers de soude brûlante envoyées chaque jour que dieu fait à la tête de l'adversaire électoral, avec Noël viendrait enfin le temps de croquer du « Mon Chéri » et de la buche en chocolat, le temps de la dinde farcie ou du pigeon de Noël à mastiquer en famille sur un air de « Jingles bells » ! La trêve des confiseurs... Vraiment ?

Parions au contraire, en toute mauvaise foi, que ces saynètes kitsches de la liturgie commerciale ne font que préparer l'imaginaire électoral à l'essentiel : l'épiphanie à venir de l'élu dont il faudra bien se fader les ritournelles sur l'austérité nécessaire tout le restant de l'année !

Ainsi, de vitrine en vitrine, les familles s'amassent dés les premiers froids, pour s'extasier des mécanismes sans fin qui agitent des figurines figées dans des mouvements d'automates mal articulés. On voit les fils c'est sûr. Les mouvements ne sont qu'à angles droits, c'est nul. Le sujet de l'histoire est toujours très pauvre et le mystère d'ailleurs s'efface très vite. Juste le temps d'aller se coller sur la vitrine d'à côté, comme on change de sujet à BFM-TV, pour découvrir dans un autre univers d'autres couleurs, d'autres rythmes répétant, hélas, les mêmes défauts, mais différemment. Non nous ne sommes pas au dernier sommet Européen où des pantins en gris tapent sur des tambours pour faire semblant de discuter de décisions déjà prises ailleurs ! Ici tout n'est que couleurs, strass et paillettes. Mais le besoin populaire d'illusion trouvera aux Galeries Lafayette de quoi s'éduquer aux miracles du calendrier politique de l'après. Bien heureusement, la pauvreté navrante du spectacle s'y trouve largement compensée par la ferveur primesautière du public ainsi que l'abondance diversifiée des trucs et des machins inventés pour bader le chaland.

Dans les vitrines des Galeries Lafayette, au contact des pantomimes sans idées et des mouvements sans conséquences, le public se prépare en douceur aux faux éclats de rire de Rachida Dati, aux coups de menton de Manuel Valls-Hortefeux face au doigt toujours prêt à se lever de Jean Luc Mélenchon-vénement à cheval sur Morano jetant furieusement ses poissons sur la vitre, etc....

Las... Tout ce voyeurisme gratuit pour des mouvements à mécanismes perpétuels, toute cette hallucination désengagée pour des histoires merveilleusement vides de sens, n'est-ce pas tout au contraire de la trêve des confiseurs, la légion d'honneur sur le gâteux, ce que les anglais traduisent (très approximativement...) par « The cherry on the cake »....?

Dans les années 60's, un Suisse de Bâle qui deviendra plus tard un artiste bricoleur de génie, gagnait sa vie en décorant des vitrines de magasin. Il eut un vif succès le jour où il inventa un automate, « Rotozaza », qui ne faisait que casser de la vaisselle en pure perte. Cela eut tout d'abord l'air totalement inutile. Puis finalement on comprit par ce seul geste, la différence entre un pur mécanisme dont l'homme prend ou non la responsabilité quitte à s'habituer d'entrer dans un processus déshumanisant, et une production qui se donne d'autres buts que la production elle-même : faire réfléchir sur le but du mécanisme lui-même...

Ce jour-là, sans même s'en rendre compte, Jean Tinguely avait réinventé la démocratie.

En attendant on voit les fils, c'est nul.