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MASSESCRITIQUES

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Dante comme centre et comme cercle

Publié le 28 Juin 2011 par dautresdirections in Critiques & Essais d'Esthétique

 

À la pointe du centre de Dante

 

055-dant5Dante est un mystère et c’est bien ainsi. Il faut qu’il le reste. Autant il appelle le lecteur, autant il le rejette par le même mouvement sous le flot discontinu de ses vers accumulés,     et abandonne la plupart de ses lecteurs naïfs devant la porte qu’il promettait pourtant de leur ouvrir. Il ne s’agit pas d’un livre, ni même d’un poème fortement marqué par une métrique rigoureuse. C’est plutôt un océan tourmenté par une lune dont les cycles initiatiques décourageront rapidement ceux qui font de la culture un ornement et non une expérience.  Lire Dante est une expérience, comme toute initiation est une expérience qui transperce définitvement la mémoire du corps. Ainsi, la Comédie est bien une épreuve dans la vie d’un homme, dont il faut déjà commencer par trouver, c’est à dire éprouver la porte. Car à l’issue de la lecture, aucun de ceux qui auront atteint le paradis ne sera jamais assez vulgaire pour dire où est la porte, ce qu’est la porte qui ouvre à une nouvelle vie. De ce point de vue Dante est un auteur initiatique à part entière.

Être ou non capable de franchir un seuil, n’est-ce pas la grande affaire de toute initiation ? Encore faut-il pour y parvenir, se mettre préalablement en état, en situation, de rencontrer ce seuil. Avoir l’humilité requise pour cela. C’est-à-dire accepter de perdre quelque chose, une situation, un état, pour un gain dont on ignore encore à ce moment la valeur. On ne lit pas la Comédie, c’est la Comédie qui nous appelle à un sacrifice qui implique une perte de soi à laquelle tous n’accèdent pas.

Car il faut être bel et bien prélablement perdu pour entrer dans cette architecture de cercles encerclés sur eux-mêmes. Celui qui ne s’est jamais perdu ne peut pas comprendre ce texte composé géométriquement de 100 chants, découpés en trois parties. La première partie « L’enfer » est rédigé en 34 chants, la seconde « Le purgatoire » est composée de 33 chants, ainsi que la dernière troisième partie « Le paradis », 33 chants également. Tout fait symbole dans cette construction ternaire ; si la première partie comporte 34 chants, c’est que le premier chant ne se situe pas encore en Enfer. La porte n’étant pas encore trouvée par le profane qui n’a pas encore assez désespéré de la vie, Dante pleure d’être définitivement perdu en ce monde. « Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt sombre, la route où l’on va droit s’étant perdue ». On est aux alentours de 1300, Dante Alighieri est désespéré. Béatrice, son égérie, est morte en 1290, en 1300 Florence est coupée en deux factions, les Guelfes noirs et les Guelfes blancs (ceux-ci au contraire des noirs désirent leur indépendance vis à vis de la papauté, Dante fait partie des Blancs). Dante sera banni, condamné à un exil de deux ans par les noirs, puis finalement condamné à mort le 10 Mars 1302. S’ensuivra toute une vie d’errance et d’efforts vains et désespérants en politique.

Ces détails historiques ne sont pas anecdotiques pour qui veut entrer dans le labyrinthe concentrique de la Comédie ; celui qui ne s’est pas d’abord perdu dans sa vie affective et sociale, ne saurait recevoir aucune initiation. Telle est le premier apprentissage. Le premier chant, raconte cette situation de torpeur du profane qui non encore initié à la beauté de la souffrance ne saurait encore avoir vu exactement ce dont il souffre. Or il s’agit bien de cela dans la Comédie ; faire l’expérience lucide de tous les maux qui accablent l’existence humaine. La comédie c’est une expérience, mais une expérience détachée, toute symbolique...  Il faut avoir vu, contemplé sans y être totalement engagé, tout ce que l’âme humaine peut pourrir de nos vies. Le voyage de la comédie, est donc le survol de l’ensemble des malheurs humains. Aucun vice n’y manque ; derrière la porte se trouve le peuple infini des lâches et des pleutres, indifférents et engagés dans rien (Dante était politiquement engagé), viennent  ensuite ceux qui n’ont aucune espèce de foi et ne croient en rien, puis la luxure, la gourmandise, l’amour des richesses, la colère, ceux qui n’admettent aucune vérité, les violents au septième cercle, les rusés et les trompeurs, puis finalement, les traîtres, les félons, déjà à cette époque bien sûr, on changeait de camp pour le pouvoir...

Mais avant de commencer le voyage qui mènera à la délivrance il faut trouver le passage, la porte éternelle de l’enfer, seule issue pour les égarés en perdition. A ce point, Dante n’est pas seulement égaré dans cette forêt sombre et sans lumière (qui peut tout aussi bien être un hôpital psychiatrique, une prison, une administration, une ville...). Il est surtout terrorisé par des fauves agressifs qui y louvoient et le menacent probablement. C’est à ce moment qu’intervient le poète Latin Virgile, du premier siècle, qui va devenir son guide afin de l’aider à « entre(r) dans le monde éternel avec son corps vivant ». La poésie, la création verbale sont ici manifestement le refuge, la consolation de ceux que la vie désole de ses difformités. Le choix par Dante du poète Virgile et de sa rectitude créatrice n’est évidemment pas un hasard, puisque dans la Comédie plus qu’ailleurs tout est symbole : Virgile est en effet l’auteur des Bucoliques, ouvrage dont on a dit qu’il est un « petit temple Pythagoricien » par ses divines proportions de syntaxes et de structure. Composé de 9 pièces, gravitant toutes autour de la cinquième, en deux groupes de quatre, à l’image de planètes gravitant dans un cosmos autour du soleil. Ce qu’il y a de frappant dans l’architecture des Bucoliques c’est la disposition mathématiques des vers : l’architecture la plus visible, qui donc équilibre les quatre premières pièces (83, 73, 111 et 63 vers = 330) par les quatre dernières (86, 70, 110, 67 vers = 333) autour du pivot central (90 vers), se redouble d’une autre, plus secrète, qui les couple par cercles concentriques (I + IX ; II + VIII ; III + VII ; IV + VI), lesquels correspondent à des thèmes de la vie vulgaire (malheurs des paysans expropriés ; tourments de l’amour ; joutes poétiques ; élévation au niveau universel et cosmique) autant qu’à des formes (alternance de dialogues et de chants continus), et obéissent aux mêmes proportions numériques que dans la première architecture, soit : I + IX + II + IV (333 vers), face à III + VII + IV + VI (330 vers).

Les bucoliques de Virgile c’est le règne des divines proportions, proportions secrètes qui inspireront manifestement la construction des 99 Chants de la Comédie. C’est ni plus ni moins qu’un un nombre d’or écrit en mots ayant pour effet de démultiplier, et de féconder l’infini de nos imaginations, pour ceux qui pourront en supporter la lecture.

La géométrie organisant, compensant, l’apparence de chaos de l’Enfer, derrière lequel se cache secrètement le paradis : tout est paradis en cet enfer qui n’est pas sans raison, sans ordre. La somme de nos soucis n’est pas nulle, il y a toujours un reste pour celui qui a su partir, se sacrifier en poussant la porte de l’enfer où il est écrit « Par moi on va dans la cité dolente, par moi on va dans l’éternelle douleur, par moi on va parmi les hommes perdus (....). Avant moi rien n’a jamais été crée, qui ne soit éternel et moi je dure éternellement. Vous qui entrez abandonnez toutes espérances ».

 

Bâtir poétiquement en un monde inhospitalier et cruel, suppose de sortir de son centre par lequel il nous faut hélas d’abord passer comme dans le chas d’une aiguille. Trouver le centre d’où émanent toutes les douleurs du monde c’est se donner l’occasion de fonder un lieu qui nous soit réellement propre. Or le centre ne nous est évidemment pas immédiatement donné et c’est cela l’enfer : l’illusion d’un centre accessible. En fait de centre derrière la porte, Dante ne découvre que des cercles, qui tous contiennent d’autres cercles, tout est en abîme. On quitte une douleur pour en trouver une autre. Telle est la condition initiale engendrée par l’expulsion de Lucifer hors du paradis par Dieu. Lucifer qui est littéralement le porteur de Lumière (Lux/Ferre=porter la connaissance, c’est un ange déchu pour avoir contester l’autorité de dieu) est le responsable de ces cercles que sa chute terrestre a engendrés. Il se tient lui-même tout au fond. Lucifer est donc le centre véritable dont il faut se dégager après l’avoir rencontré et s’être affranchi de tous ses cercles au nombre de 10, 10 = un plus l’infini...

S’affranchir, voyager, c’est à dire quitter, perdre tout ce qu’on est ou qu’on s’imagine posséder c’est probablement un des enseignements fondamentaux de La Comédie.  Entrer vivant dans le non-savoir. L’expérience de la lecture de l’Enfer montre que ce dont souffre tous les damnés est d’être et de rester aliénés à un cercle, à leurs croyances dont ils ne sortiront probablement jamais. En cela ils sont morts avant leur date fatidique, posthume sans avoir vécu, ils ne disposent donc pas de la vie. Grâce à la poésie ici Virgile, à son pouvoir d’élévation et donc d’évolution, de métamorphose, Dante peut au contraire traverser et se libérer de l’attraction de ces cercles qui sont autant d’illusions quand à ce que nous croyons savoir.

Initié par Virgile au voyage dans l’enfer de la connaissance et des vices qui en résultent, Dante doit comprendre .... Qu’il est une forme sans contenu, un néant d’être.... Du vitriol à l’état pur : un acronyme latin pour "Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem", qui signifie "Descends dans les entrailles de la terre, en distillant tu trouveras la pierre de l’œuvre".

 

FG

 

 

 

 

 

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